lundi, janvier 30, 2006

"Zèle"

Pour des raisons liées à l’actualité, cette histoire se déroule en Palestine fin janvier 2006. Mais elle pourrait avoir lieu n’importe où et n’importe quand, où se trouve réunit un premier ministre comateux, des juifs sionistes, des arabes palestiniens par les camps de refugiés, une barrière de sécurité, un chef terroriste à keffieh sanctifié.

Le repas est terminé, les enfants sont couchés. Dans le salon, Mohammed lit le journal l'air sérieux, tandis que son épouse Rachida avachie et la mine un peu dépitée est occupée à feuilleter l'équivalent de Elle.
- Dis Momo, est-ce que peux te poser une question ? Demande Rachida.
- Oui, répond son mari.
- Tu crois que je devrais me faire refaire les seins ?
- Pensif et un rien hypocrite, Mohamed l'a rassure : mais non ils sont très bien. Ah les femmes, toujours à s'occuper de futilités. C'est tout de même demain les élections.
- Oui les élections, de toute façon ça changera pas grand-chose. Et tu voteras comme d'habitude pour le Fatah.
- J'en suis pas si sûr.
- Qu'est-ce que tu raconte, t'as toujours soutenu le Fatah. Il y a encore pas si longtemps tu te disputais avec mon frère Rachid qui milite au Hamas, tu l'as menacé de le foutre dehors à coup de pied s'il continuait de critiquer Arafat.
- Oui ton frère est un imbécile, nous n'y changerons rien ! Mais depuis les choses ont changé. Arafat est mort, et Abbas, Koreï et les autres glands ne valent pas mieux que de la merde de chameau.
- Si Barghouti était libéré ce serait différent, ça c'est sûr. Il ferait le ménage dans la vieille garde corrompu du Fatah, qui s'engraisse sur notre dos, en nous dépouillant de l'aide internationale. Ils grossissent à vue d'oeil ces porcs, ils ont de belles voitures, des propriétés un peu partout, ils contrôlent presque tous les pans de l'économie pendant que nous sommes réduits à la misère.
- A la misère, à la misère... Peu de femmes peuvent se vanter d'avoir autant de bijoux et de sacs à main. T'en as presque autant que Bernadette Chirac, et dans le même goût.
- Tu sais ce que je veux dire. Abbas est un politicien, costume trois pièces, l'air bovin, une diatribe anti-sioniste de temps en temps pour assurer le minimum syndical et puis voilà. C'est pas un chef. Depuis qu'Arafat est mort c'est l'anarchie, des mairies, des ministères sont régulièrement attaqués, on fait des otages pour faire pression sur le gouvernement, des policiers sont abattus, ect... Comme cette histoire avec la famille d'un policier tué qui ouvre le feu sur des policiers en faction près de la résidence d'Abbas. Plus rien fonctionne. Sans même parler de Gaza.
- Au moins Arafat même assiégé dans la Moukata, avec un canon de char sur la tempe, arrivait à conserver son aura et son autorité. Tandis qu'Abbas... En plus depuis la deuxième intifada, la situation économique n'a cessé de se dégrader, si elle continue de s'enfoncer on va trouver du pétrole.
- La faute à qui Momo ? Ce sont les israéliens qui ont bouclé les territoires, qui ont mis des check-points partout, qui nous empêchent de travailler en Israël, et qui rendent la situation ici intenable. Ils ont même importés des chinois et des philippins pour remplacer la main-d'oeuvre palestinienne. La rançon de la mondialisation.
- Tout ça parce que Sharon a profané l'Esplanade des mosquées. Qu'il crève ce gros juif obèse ! Après nous avoir coupé de nos sources de revenus, il a commencé la construction du mur qui nous isole totalement du monde extérieur. Nous sommes faits comme des rats.
- Le Hamas a bien profité de la situation, alors qu'il était marginalisé, l'impuissance du gouvernement lui a ouvert une voie royale.
- Hum... Oui la mort dans l'âme, je dois bien admettre qu'il fait beaucoup avec ses réseaux associatifs. Il se sert de la misère pour prospérer, financer par l'étranger, il a des associations pour les femmes, pour l'éducation des enfants, pour l'apprentissage du coran, il s'est implanté dans les organisations professionnelles, il propose des services de santé en plus de l'aide alimentaire. Bien sûr tout ça, s'accompagne d'une réislamisation et de l'observance strice de la cha’ria, même plus moyen de prendre un p'tite bière. Il est loin le nassérisme du temps de papa.
- C'est comme ça qu'ils séduisent les gens, qui se sentent débiteur. Et il gagne une réputation d'intégrité, d'honnêteté, le contraste avec la corruption du Fatah fait le reste. Et politiquement mis à part leur bilan explosif et feu d'artifice, il sont aussi vierges que les 72 gamines qui accueillent les kamikazes aux burnes enveloppées dans du papier d'alu.
- Tu sais bien Rachida, qu'on ne peut leur reprocher de mener une résistance armée. Ils ne font que riposter aux assassinats de civils, aux assassinats des responsables du mouvement... Si on disposait de chars et d'avions de chasse, on n'enverrait pas les notres sacrifier leur vie pour la Palestine. Malheureusement aujourd'hui ce sont les islamistes qui symbolisent la lutte contre Israël. Et ça c'est important dans la tête des gens. Le Fatah apparaît trop en retrait, pas près à négocier, mais pas non plus près au combat.
- Si les israéliens n'avaient pas fait des confettis du processus de paix, on n'en serait pas là, ils ont toujours refusé les compromis significatifs. Ils et surtout nous en payons le prix.
- Qu'est-ce qui leur a pris aussi de refuser de nous rendre Jérusalem pour en faire la capitale de la Palestine, de démanteler les colonies, de nous donner le contrôle des lieux saints, d'autoriser le droit au retour des réfugiés déportés, et de reporter la frontière sur celle de 1948 ? Ne soit pas naïve, nous ne pourrons reprendre notre bien que de force. La feuille de route et autres billevesées ne servent qu'à affaiblir Israël sous l'effet de la pression internationale.
- Ca fait tellement longtemps qu'on veut détruire Israël et foutre les juifs à la flotte, que je suis sûr qu'ils ont prévus suffisamment de bouées de sauvetage. La seule solution pour eux comme pour nous c'est de négocier. Il faudrait que des deux côtés des hommes avec assez de légitimité se démarquent, et aient le courage de faire des compromis difficiles.
- Comme Sadate tu veux dire ? Hihi
- Psss...
- La résistance du Hamas a bien porté ses fruits à Gaza, les sionistes ne comprennent que la force, en les harcelant le Hamas les a contraint à cesser l'occupation et à libérer nos terres.
- Une victoire du Hamas ? C'est Sharon qui nous a laissé Gaza parce qu'il l'a décidé. Nous sommes toujours les jouets des israéliens, qui font de nous ce qui veulent.
- En tout cas c'est pas avec des négociations que je reverrai Haïfa. Tu sais que je pense encore à Haïfa. Mon père me parlait souvent de la vie qu'il y menait, avant qu'il en soit chassé par les sionistes ; de la ville, des paysages et des embruns de la côte. Je connais même par coeur le quartier où la famille habitait sans jamais l'avoir vu, la maison, la cour intérieure. C'est là-bas chez nous. J'en parlerai aux enfant, je leur raconterai encore et encore. Je veux qu'ils sachent d'où ils viennent, qu'ils n'oublient pas ce qu'on leur a volé. Qu'ils conservent cette volonté de retourner chez eux.
- Ce sont des histoires. Tu me parles tout le temps de cette jolie maison blanche, d'Haïfa, des coquillages et des crustacés... mais tu sais bien que les israéliens l'ont rasé pour en faire un hypermarché avec un grand parking. La maison de grand-papa Abdul elle est sous le bitume.
- Un jour nous en reconstruirons une encore plus belle.
- Oui, oui... en attendant tu comptes voter pour qui ?
- Sans doute pour le Hamas, il faut que ceux qui nous gourvernent comprennent que la situation ne peux plus durer, et qu'il faut du changement. Pas besoin d'être islamiste pour dire ça.
- De toute façon ces imbéciles n'auront pas la majorité.
- Bon, allume le poste, ça va être heure. Je ne voudrais pas rater le début de Lost sur la télé égyptienne…
- Lost c'est un peu comme la Palestine, des gens qui essayent de survivre dans un milieu hostile sans espoir de s'échapper.
- Oui enfin, tu crois que le gros lard va réussir à conclure ?


V.V.