dimanche, octobre 16, 2005

Armée rouge

L'armée soviétique n'est pas morte, ses pas résonnent encore sur les pavés parisiens.
Elle est là, mobilisée, toujours sur le qui vive, prête à dénoncer les dérives ultra-libérales du gouvernement français, et les atteintes au sacro-saint statut de la fonction publique. Camarades ! Une nouvelle bataille héroïque est en cours, ses glorieux bataillons ont répondus comme un seul homme, elle fourbit pour la énième fois ses armes contre le ministre de l'Education Nationale. Celui-ci en ennemi de la révolution, a eu l'outrecuidance de demander à ce que les absences de profs soient comblées, et que les cours soient assurés. Désirant ainsi mettre fin à l'hémorragie qui prive les élèves des écoles publiques de leurs professeurs*. Pour qu'enfin leur emploi du temps ne ressemblent plus à un gruyère, dont les trous seraient autant de jours de grèves pour des motifs futiles et récurrents, de longues absences dues au "surmenage", et d'arrêts maladie pour rhumes qu'ils soient hivernaux ou des foins.

Il faut rappeler, pour mesurer l'ampleur de l'enjeu, qu'officiellement "6 % des heures d'enseignement ne sont pas assurées : 3,5 % à cause des absences de plus de 15 jours ; 2,5 % en raison d'absences inférieures à 15 jours."** Il semble comme l'avait dit en son temps Claude Allègre, que les profs enseignant en établissements publics ont une constitution bien plus fragile que celle de leurs collègues officiant dans le privé. Cette singularité qui touche toute la fonction publique reste encore inexpliquée, et soulève un grand septicisme auprès de la communauté scientifique. Serait-ce lié à l'air respiré, à la couleur de la peinture murale, au stress, à la difficulté spécifique du travail ? Nous n'en savons rien, mais une chose est sûre, nos profs sont souffreteux. Ils ont le tein terne, l'oeil morne, le cheveux rèche, et soif de revendications. De grands spécialistes, libéraux et humanistes avant tout, ayant étudiés de près cette forme de neurasthénie, conseillent le matraquage en règle. Mais nous savons qu'ils ne sont pas écoutés. En tout état de cause, ce problème de santé publique est délaissé. Les taux d'absence déconcertant, relayant au rang de surhommes les profs du privé, rélèvent l'ampleur du drame qui se joue en silence.

Gilles de Robien en application de la loi Fillon sur l'école, pour tenter de réduire la portée des absences, proposa donc des remplacements, sur la base du volontariat, ou si nécessaire de manière contraignante sous le contrôle du chef d'établissement. Les profs devraient ainsi remplacer leurs collègues défaillants dans un cadre strict, dans une limite de quinze jours et d'au maximum 60 heures dans l'année et 5 heures supplémentaires dans la semaine. Ils seront payés en conséquence, et verront ces heures supplémentaires majorées, 36 euros pour un certifié, 51 euros pour un agrégé, soit plus que pour les heures supplémentaires classiques. Ainsi formulée, on peut penser que cette formulation est alléchante, et devrait satisfaire les enseignants, car celle-ci leur permet de travailler plus, en gagnant plus. Et cela sur la base du volontariat, sans leur rajouter une charge de travail considérable, dans un emploi du temps professionnel déjà fort peu encombré. Avec en prime la satisfaction pour eux d'assurer la continuité d'un service public qu'ils chérissent tant. Du tout bon ?

Non pas vraiment, bien mal en pris au ministre d'exprimer une telle exigence. Il va comprendre pourquoi on ne s'attaque pas impunément à l'EN, qui a une longue tradition guerrière à son actif, on ne compte plus les dépouilles de ministres qui ornent les murs des centrales syndicales : Devaquet, Allègre, Ferry... Principal poste de dépense de la nation, après celui du remboursement de la dette, son budget n'a cessé de grossir au fil des ans à mesure que le nombre d'élèves fléchissaient, et cela sans amélioration notable de qualité. La grande force du personnel enseignant, est son nombre, qui lui permet régulièrement de défendre ses privilèges, quand ce n'est pas pour en extorquer de nouveaux. Aujourd'hui les syndicats revendiquent publiquement comme le ministère, une exigence de remplacement des profs absents. Mais les modalités sont quelque peu différentes, pour eux la solution passe par l'augmentation du nombre de profs remplaçants, que le ministère avait prévu de réduire, et qui sont en outre fort mal employés. Tout au contraire la mesure ministérielle serait selon eux inefficace, en plus d'être attentatoire au statut de la fonction publique, et à l'éducation prodiguée.

S'engouffrant dans la brèche, et comme à son habitude avec une totale malhonnêteté intellectuelle, la classe journalistique repris avec délectation la vulgate syndicale. C'est ainsi qu'on a pu apprendre qu'un prof d'EPS ne parlant pas un mot d'allemand ne pourrait pas donner des cours d'allemand de manière satisfaisante, de la même façon qu'un prof de maths ne pourrait pas remplacer le prof de philo. Non, mais c'est vrai ? Il est plaisant de savoir qu'on apprend les rudiments de la logique, en même temps que la désinformation en ESJ. Ce qui rend effectivement cette réforme inapplicable comme l'affirment les commissaires politiques syndicaux. Il est vrai que présenter de cette manière la réforme ne peut paraître qu'absurde. C'est l'avantage de caricaturer outrageusement le discours de son adversaire, la réfutation n'en est que plus facile.

Mais admettons à notre tour que le ministère a été négligent, il a omis de signaler que les profs de français devraient être remplacés par des profs de français, les profs d'histoire par des profs d'histoire, ect... En résumé par des enseignants maitrisant la matière qu'ils auraient à enseigner. Il s'est contenté bien naïvement de notifier que les principaux de collèges et proviseurs de lycées seraient charger de la gestion des remplacements au sein de leurs établissements. Ceux-ci étant comme chacun le sait de sombres crétins, de plus sournois et malveillants, qui a la première occasion venue n'hésiteront pas à envoyer un prof de dessin résoudre des équations du second degré, en entonnant un rire sardonique. Il faut garder à l'esprit que nous vivons dans un pays où seule l'autorité centrale doit être habilitée à prendre la moindre décision. Laisser cette fonction, de manière décentralisée, à des responsables locaux ne peut qu'être qu'une preuve d'irresponsabilité.

Mais le véritable problème est autre, nos amis les profs vivent cette nouvelle réforme comme une intrusion dans leur petit univers protégé. Une de plus qui porte atteinte à leurs acquis après la réforme des retraites, et qui allonge au moins potentiellement leur temps de travail. "L'Etat leur en demande «toujours plus», comme tout employeur confronté à la crise et à la pénurie de moyens qu'elle entraîne, et cela, quitte à grignoter les acquis du statut des enseignants." Ne cherchez pas, c'est émouvant, c'est du Libé. Les chefs d'établissements ne semblent pas non plus satisfaits, car la nouveau responsabilité de management du personnel qui leur est échue pourrait leur valoir la rancoeur de leur collègues, et créer des conflits rompant avec leur paisible travail administratif. C'est vraiment effrayant. C'est aussi le vieux thème de l'autonomie des établissements qui ressurgit, et nous savons qu'il est combattu depuis toujours par le corps enseignant, guère enchanté d'avoir un patron sur le dos. Car plus de responsabilité pour le chef d'établissement signifie une modification des relations hiérarchiques, il deviendrait une sorte d'inspecteur d'académie à domicile. Et puis on a beau être un garde rouge, on n'en reste pas moins sensible, ça fait mal de se faire renvoyer en pleine tête le thème de l'absentéisme professoral, quelle ingratitude pour ceux qui donnent tant.

On comprend bien, que ce corps enseignant est plutôt satisfait de la situation présente, et que le sort des jeunes dont il a la charge ne le préoccupe que très partiellement. Le reste n'est qu'argutie syndicale, essayant de protéger des intérêts particuliers. J'ai toujours trouvé fascinant, ces hommes qui n'hésitent pas à expliquer, que les revalorisations de salaire, les revendications de statut préférentiel, les primes accordées, le temps et les montants de cotisation à la retraite inférieurs à ceux des salariés du privé, et toute sorte d'autres privilèges étaient nécessaires à la bonne marche du service public. Il ne faut pas y voir des sommations corporatistes, pour ne pas dire égoïstes. Non tout au contraire, il faut sentir la solidarité de ceux qui défendent leur qualité de travail, en même temps que la qualité du service public, et donc nos intérêts. Quand ils manifestent pour la sauvegarde de la retraite à 60 ans, c'est de manière totalement désintéressée, c'est pour ne pas forcer d'innocents enfants à subir de vieux profs gateux. De même quand les fonctionnaires martellent le pavé ce n'est pas au nom de revendications catégorielles, non ils le font au nom de tous les salariés, surtout d'ailleurs pour ceux du privé qui ne pourraient pas manifester. N'oublions pas : "Le service public, c'est la vie."

* Bien qu'il ne soit pas assuré que cela soit une mauvaise chose. Il reste à déterminer quel est le pire, le contenu des cours, ou leur absence.
** http://www.liberation.fr/page.php?Article=330390
- Vae Victis