De l'exploitation des crises humanitaires, et du dilemme des gouvernants
Il est toujours difficile pour un pays touché par une crise réelle ou supposée telle, comme une famine, des troubles intérieurs, des catastrophes naturelles : raz de marée, tremblement de terre, ouragan, incendie de forêt... de réagir face à l'extérieur de manière appropriée. Il s'offre à ce pays deux opportunités, ce qui ressemble à un véritable dilemme, soit accepter l'aide internationale que la communauté éponyme ne manquera généralement pas de proposer, soit en connaissance de cause refuser cette aide. De toute façon quelque soit l'alternative choisie, dans les deux cas c'est jouer perdant, perdant. En cas d'acceptation de cette aide internationale, le pays touché fera démonstration de sa faiblesse, qu'il est incapable de répondre par lui même aux besoins de sa population, qu'il est débordé, et qu'une aide extérieure d'urgence s'impose pour lui venir en aide ; interprétation qui peut être légèrement problèmatique quand on est par exemple la première puissance mondiale, et qu'on tente de maintenir son leadership et son prestige. Il reste toujours la possibilité à ce pays, de refuser cette aide internationale, peut-être même souvent n'en a-t-il pas réellement besoin, celle-ci se révélant peu appropriée et superflue. Oui c'est une possibilité, mais dans ce cas il s'expose à subir les reproches voire plus de la communauté internationale dans son ensemble, et des pays qui lui sont déjà hostiles en particulier qui profiteront de l'occasion. On ne manquera pas de mettre en parallèle les souffrances des victimes, des populations démunies, la désorganisation des secours qui est inhérente aux catastrophes imprévues de plus ou moins grande ampleur, et le refus de l'aide internationale, comme si celle-ci la plupart du temps aurait changer quelque chose. Mais la question n'est pas là, nous sommes déjà dans la récupération politique mêlée à une atmosphère d'humanisme huileux, avec comme motifs d'indignation le désespoir de ces gens qui seraient abandonnés à eux-mêmes, le gouvernement du pays unanimement vilipendé se retrouve taxés de tous les maux ; par égoïsme, peur de perdre la face en avouant son incompétence, par nationalisme mal placé, celui-ci préfèrerait laisser souffrir sa population. Il faut bien admettre que ces temps-ci il ne fait pas bon que d'être la cible d'attaques droit-de-l'hommiste, devenir en quelques instants l'ennemi qui empêche de se mettre en place une ère de solidarité et d'amour universel, bloquant la oh combien salvatrice ingérence humanitaire. Saint-Kouchner priez pour nous. C'est pourquoi il est généralement plus prudent de mettre son amour propre de côté, et d'accepter les tentes, les couvertures, les vivres, les sacs de riz, et les humanitaires encombrants, quelque soit l'usage qu'on compte en faire et l'utilité de tout ce bric à brac.
Citons quelques exemples qui ont ces dernières années marqués l'actualité mondiale :
En 2002 une famine était censée menacer la Zambie, les agences de l'ONU prévoyaient déjà des millions de morts, en réalité cette famine effroyable n'était rien de plus qu'une disette localisée, que les autorités nationales étaient tout à fait capable de résorber, ce qu'elles firent d'ailleurs par la suite avec succès d'elles mêmes. Mais le mal était fait, l'aide internationale étant en branle, les journalistes en mal d'enfants squelettiques arpentaient déjà le pays, les humanitaires débordant de solidarité pan-africaine ne demandaient qu'à suivre. Le gouvernement zambien pour ne pas déséquilibrer ses marchés agricoles par l'arrivée massive d'une aide alimentaire gratuite, risquant de mettre en faillite de nombreux agriculteurs, pris la décision controversée de repousser les propositions américaines, généreuses autant qu'intéressées. L'humanitarisme étant une attitude tellement établie dans les esprits, que le gouvernement ne pris pas le risque d'exposer ses véritables inquiétudes, et argua pour se justifier, et plaire aux européens qu'il refusait les céréales américaines parce qu'elles contenaient des OGM, ce qui pourrait nuire à la santé de la population. La Zambie fut alors alors prise à partie de manière très virulente en particulier par les autorités américaines, celles-ci allant jusqu'à la menacer. L’ambassadeur des États-Unis en Zambie n'hésita pas à déclarer avec la dignité qui lui est échu, de cette voix qui porte en soi la responsabilité du monde : "Les dirigeants qui refusent à leur peuple l’accès à l'aide alimentaire doivent être poursuivis pour les crimes contre l’humanité les plus graves." Le tribunal de Nuremberg n'était pas loin.
Fin 2004 c'était au tour de l'Inde frappée par le tsunami de subir une campagne de dénigrement, après avoir refusée l'aide que presque tous les autres pays du Sud-Est asiatique avaient acceptés. Malgré le choc initial, l'Inde pays à l'échelle d'un sous-continent, de par sa profondeur géographique pû surmonter par ses seuls moyens cette épreuve ; les destructions s'étendant seulement sur quelques centaines de mètres ou quelques kilomètres à l'intérieur des terres selon la topographie du terrain sur la côte Est du pays, ce qui présentait il est vrai une double difficulté, de fortes densités de population, et des zones littorales jouant un rôle vital pour les économies locales et nationales. Mais une fois les moyens transférés et une organisation mise sur pied, le gouvernement s'en tira de façon honorable, une intervention extérieure disparate et bien souvent inappropriée n'aurait de toute façon pas améliorer la qualité des secours. Les médias et les professionnels de l'humanitaire toujours à l'affût de chair fraîche ne manquèrent pas de pousser des cris d'offraies, et d'instrumentaliser les victimes, reprochant son irresponsabilité au gouvernement indien, qui sacrifiait sur l'autel de ses ambitions régionales le sort des malheureux. Foutaise, mais il ne fait pas bon s'élever contre la machine humanitaire, qui a pour elle le "monopole du coeur".
Et pour finir le type même du pays qu'il ne pensait sans doute jamais se retrouver en situation d'avoir recours à l'aide internationale, d'avoir à déplacer et héberger autant de réfugiers, de se retrouver ainsi débordé tel un pays du Tiers-monde. Pourtant avec une ville d'un million et demi d'habitants submergée par les eaux, auquel s'ajoute une bande côtière s'étendant de la Floride à la Louisiane ravagée, les Etats-Unis furent la victime totalement inattendue de cette rentrée. Les Etats-Unis ont il est vrai bien plus l'habitude d'aller secourir des population menacées au quatre coins du globe, que d'être eux mêmes secourus. Une fois n'est pas coutume, la solidarité internationale joua cette fois en leur faveur, bien que le seul réel besoin exprimé par l'Administration Bush fut celui de l'approvisionnement pétrolier, les installations du golfe du Mexique assurant 15% de la consommation américaine étant inutilisables pour le moment. Mais le gouvernement déjà fragilisé pour sa gestion de la crise, opta pour la solution susceptible de faire le moins de vague possible, Condie annonça que les Etats-Unis accepteraient toute aide, d'où qu'elle vienne. Il semble pourtant que cette annonce fut contrariée à deux reprises, celles de Cuba et du Vénézuela un rien provocatrices restèrent lettre morte. Les offres d'aide venant du monde entier ont affluées, la France a mis à la disposition des Etats-Unis notamment huit avions, deux navires, 600 tentes et 1.000 lits de camp. L'Union européenne a renouvelé ses propositions d'aide, y compris en puisant si nécessaire dans ses réserves pétrolières. Le Japon pays de tolérance et générosité, tout en restant digne s'est engagé à offrir 55 millions de yens aux régions touchées par le cyclone Katrina. Ect...
Sur la scène internationale, et tout particulièrement en France on ne manqua pas d'interpréter la situation de la Nouvelle-Orléans et l'acceptation de l'aide comme le symbole de l'Amérique, ce "géant aux pieds d'argile", qui à la moindre difficulté plonge dans l'anarchie, démonstration de l'échec de son système social, de cette Amérique raciste, délaissant ses pauvres, noirs, abandonnés par l'Etat américain. Les Etats-Unis victimes à leur tour du réchauffement climatique qui dévaste déjà le reste de la planète ; pays fracturé qui n'a que l'apparence de la puissance, qui gaspille ses maigres forces en Irak. Dans bien des cas les commentaires furent l'expression d'une haine anti-américaine, n'offrant que peu retenue après les deux premiers jours de surprise. N'imaginons même pas ce qu'il serait arrivé, et à quels extrêmes nous serions arrivés dans l'exploitation hystérique et démagogique de ce désastre si l'Aministration Bush avait refusé l'aide étrangère, ce refus devenant directement responsable de la situation de la ville et de ses habitants, le nationaliste va-t-en guerre Bush assoiffant, affamant, noyant, tuant, pillant lui même la population, au lieu de chercher à la sauver.
Pour conclure beaucoup de pathos, et bien peu de logos...
- Vae Victis
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