dimanche, octobre 16, 2005

La fin du monde ? Pour demain après-midi 15H30 - volet biologique, épisode I

Fin d'été 2004, la France est en état de choc, un chiot atteint par la rage importé illégalement du Maroc est détecté sur le territoire national. La machinerie étatique et médiatique se met en branle, on imagine déjà le pire, des dizaines de chiens, ainsi que des enfants, des adultes mordus ou ayant été en contact avec l'animal, sont suspectés d'être contaminés. L'épidémie est presque hors de contrôle, si rien n'est fait une hécatombe endeuillera la France, les autorités sont inquiètent et se mobilisent. L'image du chien écumant de bave, les crocs sortis, déambulant dans les rues à la recherche d'un délicieux bambin à mordre se propagent. Les annonces alarmantes se multiplient, la presse en fait ses gros titres, la télé y consacre des émissions, le plus souvent en empruntant un ton d'épouvante. Un climat de peur se met en place, de cette peur qui pousse à tous les excès, la psychose est en marche, les solutions radicales sont à portée de main.

Le 4 septembre ministère de l'Agriculture prend des mesures de lutte contre la rage, les départements de la Dordogne, de la Gironde et du Lot-et-Garonne, où se trouverait le chiot sont en état de siège. Le massacre des chiens plus ou moins errants est avalisé, sous prétexte qu'ils pourraient avoir la rage (notez l'emploi du conditionnel), les chasseurs ont interdiction de sortir leurs bêtes. "Des patrouilles municipales équipées de lassos, de fusils hypodermiques et de voitures dotées de cages font la chasse aux animaux errants. Tout propriétaire de chien doit présenter un carnet de vaccination en règle. « On ne laisse qu'une seule chance. S'il se retrouve à nouveau en infraction, l'animal est conduit à la SPA et euthanasié au bout de huit jours », précise Pascal Landes, responsable de la police municipale de Périgueux. Un fichier centralise l'identité de toutes les personnes contrôlées."* L'élimination de tous les chiens non-vaccinés, pour préserver la population est même envisagée dans la presse par quelques politiciens. Les numéros d'urgence mis en place par les préfectures sont rapidement débordés. Dans ces zones un couvre-feu canin est appliqué, sous l'office des forces de l'ordre massivement mobilisées. "A Léognan, ville de 8 000 habitants, le maire trouve raisonnable de demander à ses services techniques de nettoyer les abords du lac Bleu. Avec ordre de ramasser tous les objets ayant pu être mordus par le chien : balles, bouteilles en plastique, jouets... L'accès au lac par mesure de précaution est interdit."*

Une brèche infidécimale dans le principe de précaution donne lieu à une déploiement de force ahurissant, à une froide réplique où les sentiments n'ont pas leur place. On se souvient de cette vielle dame prenant le maquis pour sauver son chien, et de sa famille morte d'inquiétude. Un cas parmis d'autre. Il faut dire que la perspective d'imaginer le cerveau de son compagnon à quatre pattes réduit en bouillie, n'est pas de nature à susciter l'apaisement. Ce procédé un rien barbare étant le seul moyen de détecter la maladie avant l'apparition des symptômes. Et tout cela pour un chien enragé... Sans doute que nos ancêtres, confrontés régulièrement à cette maladie, auraient ri devant l'agitation provoqué par si peu de chose. Mais nous qui possédons le vaccin, qui sommes éduqués, qui avons la science à nos côtés, sommes effrayés par la simple évocation d'une maladie presque disparue de nos contrées, qui réveille dans l'insconcient collectif une inquiétude qui nous est devenue difficilement gérable. Même si beaucoup ont pensés que les choses allaient un peu loin, l'inquiétude n'en n'était pas moins réelle, ce qui démontre si cela est encore nécessaire le pouvoir de la suggestion. Les esprits étaient globalement rassurés par le fait que le pouvoir politique prenne les choses en mains. Il en faisait peut-être un peu trop, mais au moins la population se sentait en sécurité. C'est la même logique qui est à l'oeuvre, quand des gens se disent rassurés d'être filmés et fouillés à tous les coins de rue.

Cela démontre à l'envie, que la moindre attaque terroriste de nature biologique sur le pays, même si le nombre de victimes se comptent sur les doigts d'une main, aurait des conséquences ravageuses sur le moral de la population. Il ne faudrait pas grand chose pour mettre un pays développé à genoux, la peur suffit. Cela ouvre de grandes possibilités à des terroristes disposant de très peu de moyens. Les conséquences économiques et morales sur nos populations, de l'introduction de quelques animaux enragés en Europe, dépasseraient de beaucoup le coût modique de l'opération.

L'affaire en elle-même prendra fin dans un silence presque assourdissant, en définitif après plusieurs mois de rechercher le chiot est retrouvé, aucune contamination n'est à déplorer. Fin de l'histoire. De tout façon elle est déjà oubliée. Vous croyez qu'elle aura servi de leçon ? Que nenni, le SRAS permettra un remake avec un scénario légèrement retravaillé et un plus gros budget.
* source : Le Point
- Vae Victis

Armée rouge

L'armée soviétique n'est pas morte, ses pas résonnent encore sur les pavés parisiens.
Elle est là, mobilisée, toujours sur le qui vive, prête à dénoncer les dérives ultra-libérales du gouvernement français, et les atteintes au sacro-saint statut de la fonction publique. Camarades ! Une nouvelle bataille héroïque est en cours, ses glorieux bataillons ont répondus comme un seul homme, elle fourbit pour la énième fois ses armes contre le ministre de l'Education Nationale. Celui-ci en ennemi de la révolution, a eu l'outrecuidance de demander à ce que les absences de profs soient comblées, et que les cours soient assurés. Désirant ainsi mettre fin à l'hémorragie qui prive les élèves des écoles publiques de leurs professeurs*. Pour qu'enfin leur emploi du temps ne ressemblent plus à un gruyère, dont les trous seraient autant de jours de grèves pour des motifs futiles et récurrents, de longues absences dues au "surmenage", et d'arrêts maladie pour rhumes qu'ils soient hivernaux ou des foins.

Il faut rappeler, pour mesurer l'ampleur de l'enjeu, qu'officiellement "6 % des heures d'enseignement ne sont pas assurées : 3,5 % à cause des absences de plus de 15 jours ; 2,5 % en raison d'absences inférieures à 15 jours."** Il semble comme l'avait dit en son temps Claude Allègre, que les profs enseignant en établissements publics ont une constitution bien plus fragile que celle de leurs collègues officiant dans le privé. Cette singularité qui touche toute la fonction publique reste encore inexpliquée, et soulève un grand septicisme auprès de la communauté scientifique. Serait-ce lié à l'air respiré, à la couleur de la peinture murale, au stress, à la difficulté spécifique du travail ? Nous n'en savons rien, mais une chose est sûre, nos profs sont souffreteux. Ils ont le tein terne, l'oeil morne, le cheveux rèche, et soif de revendications. De grands spécialistes, libéraux et humanistes avant tout, ayant étudiés de près cette forme de neurasthénie, conseillent le matraquage en règle. Mais nous savons qu'ils ne sont pas écoutés. En tout état de cause, ce problème de santé publique est délaissé. Les taux d'absence déconcertant, relayant au rang de surhommes les profs du privé, rélèvent l'ampleur du drame qui se joue en silence.

Gilles de Robien en application de la loi Fillon sur l'école, pour tenter de réduire la portée des absences, proposa donc des remplacements, sur la base du volontariat, ou si nécessaire de manière contraignante sous le contrôle du chef d'établissement. Les profs devraient ainsi remplacer leurs collègues défaillants dans un cadre strict, dans une limite de quinze jours et d'au maximum 60 heures dans l'année et 5 heures supplémentaires dans la semaine. Ils seront payés en conséquence, et verront ces heures supplémentaires majorées, 36 euros pour un certifié, 51 euros pour un agrégé, soit plus que pour les heures supplémentaires classiques. Ainsi formulée, on peut penser que cette formulation est alléchante, et devrait satisfaire les enseignants, car celle-ci leur permet de travailler plus, en gagnant plus. Et cela sur la base du volontariat, sans leur rajouter une charge de travail considérable, dans un emploi du temps professionnel déjà fort peu encombré. Avec en prime la satisfaction pour eux d'assurer la continuité d'un service public qu'ils chérissent tant. Du tout bon ?

Non pas vraiment, bien mal en pris au ministre d'exprimer une telle exigence. Il va comprendre pourquoi on ne s'attaque pas impunément à l'EN, qui a une longue tradition guerrière à son actif, on ne compte plus les dépouilles de ministres qui ornent les murs des centrales syndicales : Devaquet, Allègre, Ferry... Principal poste de dépense de la nation, après celui du remboursement de la dette, son budget n'a cessé de grossir au fil des ans à mesure que le nombre d'élèves fléchissaient, et cela sans amélioration notable de qualité. La grande force du personnel enseignant, est son nombre, qui lui permet régulièrement de défendre ses privilèges, quand ce n'est pas pour en extorquer de nouveaux. Aujourd'hui les syndicats revendiquent publiquement comme le ministère, une exigence de remplacement des profs absents. Mais les modalités sont quelque peu différentes, pour eux la solution passe par l'augmentation du nombre de profs remplaçants, que le ministère avait prévu de réduire, et qui sont en outre fort mal employés. Tout au contraire la mesure ministérielle serait selon eux inefficace, en plus d'être attentatoire au statut de la fonction publique, et à l'éducation prodiguée.

S'engouffrant dans la brèche, et comme à son habitude avec une totale malhonnêteté intellectuelle, la classe journalistique repris avec délectation la vulgate syndicale. C'est ainsi qu'on a pu apprendre qu'un prof d'EPS ne parlant pas un mot d'allemand ne pourrait pas donner des cours d'allemand de manière satisfaisante, de la même façon qu'un prof de maths ne pourrait pas remplacer le prof de philo. Non, mais c'est vrai ? Il est plaisant de savoir qu'on apprend les rudiments de la logique, en même temps que la désinformation en ESJ. Ce qui rend effectivement cette réforme inapplicable comme l'affirment les commissaires politiques syndicaux. Il est vrai que présenter de cette manière la réforme ne peut paraître qu'absurde. C'est l'avantage de caricaturer outrageusement le discours de son adversaire, la réfutation n'en est que plus facile.

Mais admettons à notre tour que le ministère a été négligent, il a omis de signaler que les profs de français devraient être remplacés par des profs de français, les profs d'histoire par des profs d'histoire, ect... En résumé par des enseignants maitrisant la matière qu'ils auraient à enseigner. Il s'est contenté bien naïvement de notifier que les principaux de collèges et proviseurs de lycées seraient charger de la gestion des remplacements au sein de leurs établissements. Ceux-ci étant comme chacun le sait de sombres crétins, de plus sournois et malveillants, qui a la première occasion venue n'hésiteront pas à envoyer un prof de dessin résoudre des équations du second degré, en entonnant un rire sardonique. Il faut garder à l'esprit que nous vivons dans un pays où seule l'autorité centrale doit être habilitée à prendre la moindre décision. Laisser cette fonction, de manière décentralisée, à des responsables locaux ne peut qu'être qu'une preuve d'irresponsabilité.

Mais le véritable problème est autre, nos amis les profs vivent cette nouvelle réforme comme une intrusion dans leur petit univers protégé. Une de plus qui porte atteinte à leurs acquis après la réforme des retraites, et qui allonge au moins potentiellement leur temps de travail. "L'Etat leur en demande «toujours plus», comme tout employeur confronté à la crise et à la pénurie de moyens qu'elle entraîne, et cela, quitte à grignoter les acquis du statut des enseignants." Ne cherchez pas, c'est émouvant, c'est du Libé. Les chefs d'établissements ne semblent pas non plus satisfaits, car la nouveau responsabilité de management du personnel qui leur est échue pourrait leur valoir la rancoeur de leur collègues, et créer des conflits rompant avec leur paisible travail administratif. C'est vraiment effrayant. C'est aussi le vieux thème de l'autonomie des établissements qui ressurgit, et nous savons qu'il est combattu depuis toujours par le corps enseignant, guère enchanté d'avoir un patron sur le dos. Car plus de responsabilité pour le chef d'établissement signifie une modification des relations hiérarchiques, il deviendrait une sorte d'inspecteur d'académie à domicile. Et puis on a beau être un garde rouge, on n'en reste pas moins sensible, ça fait mal de se faire renvoyer en pleine tête le thème de l'absentéisme professoral, quelle ingratitude pour ceux qui donnent tant.

On comprend bien, que ce corps enseignant est plutôt satisfait de la situation présente, et que le sort des jeunes dont il a la charge ne le préoccupe que très partiellement. Le reste n'est qu'argutie syndicale, essayant de protéger des intérêts particuliers. J'ai toujours trouvé fascinant, ces hommes qui n'hésitent pas à expliquer, que les revalorisations de salaire, les revendications de statut préférentiel, les primes accordées, le temps et les montants de cotisation à la retraite inférieurs à ceux des salariés du privé, et toute sorte d'autres privilèges étaient nécessaires à la bonne marche du service public. Il ne faut pas y voir des sommations corporatistes, pour ne pas dire égoïstes. Non tout au contraire, il faut sentir la solidarité de ceux qui défendent leur qualité de travail, en même temps que la qualité du service public, et donc nos intérêts. Quand ils manifestent pour la sauvegarde de la retraite à 60 ans, c'est de manière totalement désintéressée, c'est pour ne pas forcer d'innocents enfants à subir de vieux profs gateux. De même quand les fonctionnaires martellent le pavé ce n'est pas au nom de revendications catégorielles, non ils le font au nom de tous les salariés, surtout d'ailleurs pour ceux du privé qui ne pourraient pas manifester. N'oublions pas : "Le service public, c'est la vie."

* Bien qu'il ne soit pas assuré que cela soit une mauvaise chose. Il reste à déterminer quel est le pire, le contenu des cours, ou leur absence.
** http://www.liberation.fr/page.php?Article=330390
- Vae Victis

Staline avait raison

"La mort d'un homme est une tragédie. La mort d'un million d'hommes est une statistique."

Telles sont les sages paroles du Petit Père des Peuples, qui par leur concision comme par leur pertinence nous émerveille encore aujourd'hui. Disons que par son expérience pratique il eut tout à loisir l'occasion de vérifier leur véracité. Autant cela peut paraître atroce de relativiser à ce point la vie humaine, autant dans la réalité nous lui accordons bien peu d'importance.

Staline l'avait bien compris, et il s'en servit à son avantage. Il suffit de se remémorer l'affaire Rosenberg qui agita les années 1950, du nom de la famille juive et communiste Rosenberg vivant aux Etats-Unis. Le couple, Julius, bon père de famille, époux aimant et la douce Ethel, mère intentionnée, étaient parents de deux enfants qui en 1953 à la date de leur exécution par la chaise électrique étaient agés respectivement de 10 et 6 ans. Ils furent accusés (avec raison) d'avoir transmis des informations à l'URSS sur le projet Manhattan, celui de la bombe atomique américaine. Ils devienrent le symbole de la "dérive" des Etats-Unis, de cette "chasse aux sorcières" anti-rouges, du McCarthysme triomphant qui plongeait les Etats-Unis dans un climat "fasciste". A contrario les nobles époux Rosenberg, idéalistes, pleins de vertus, niant jusqu'au bout leur culpabilité, firent figures d'héros victimes de l' "hystérie collective". Les communistes lançant une campagne mondiale proclamant leur innocence en 1952, qui eut du succès, dénonçant par la même occasion l'antisémitisme présumé des juges. Sur la scène internationale nombre d'intellectuels et de politiques de droite comme de gauche réclamèrent leur grâce, en France l'écrivain catholique François Mauriac se laissent convaincre de l'innocence des accusés, le pape Pie XII lui-même implore la clémence. Tout cela pour dire que dans bien des d'esprits, encore aujourd'hui, les époux Rosenberg occupent plus de place que les goulags sibériens et leurs millions de victimes.

On pourrait se questionner, sur la raison qui pousse beaucoup d'entre nous à accorder plus d'importance à deux espions, qui trahissent leur pays pour un régime totalitaire, plutôt qu'aux hommes, femmes et enfants, autant de familles détruites victimes du communisme en URSS. Je crois que ce qui fait la différence d'appréciation d'un événement, c'est la connaissance qu'on en a, la personnalisation. On se sent tout de suite beaucoup plus impliqué par ce qui nous touche personnellement, que par les afflictions qui meutrissent des inconnus. Les malheurs qui nous frappent nous et nos proches, c'est-à-dire la famille, les amis, les personnes qu'on fréquente régulièrement comme les collègues de travail, mais aussi les gens qu'on respecte, qu'on admire, nous apparaissent comme bien plus importants que ceux des autres. Pourquoi ? Parce que nous sommes égoïstes et que pensons d'abord à nous, mais aussi par un phénomène d'identification. Il peut par exemple arriver qu'un preneur d'otage ne sente plus la force de passer à l'acte une fois qu'il connaît mieux sa victime, et qu'il s'est lié à elle. Quand on ne ressent pas de haine, il est plus facile de frapper un étranger qu'une personne devenue familière.

Les Rosenberg on connaît leur visage, la propagande communiste y a veillé. N'ont-ils pas l'air de braves gens, honnêtes, et surtout ne méritant pas de mourir ? On est entré dans leur quotiden, dans leur vie de famille, et on nous les a dépeint souvent sous un jour très favorable. Alors qu'on ne peut pas se représenter des millions de morts, c'est un nombre, certes important, mais sans âme, qui ne dégage pas d'émotion. N'ayant pas été directement au contact de ce drame, on ne peut l'imaginer, on doit souvent feindre l'affect pour respecter les convenances lors de moments qui se veuillent solennel. Il faudrait connaître chacune de ses personnes, qu'on nous conte leur vie, qu'on nous décrive les moments tristes qui l'ont endeuillés comme joyeux qui l'ont égaillés, pour qu'on se sente réellement concernés, impliqués. Peut-être vaut-il mieux tout simplement faire preuve de dignité, ainsi rendre hommage aux morts mais aussi respecter les vivants qui eux ont soufferts personnellement de ces événements.

Mais tout le monde ne s'y plie pas naturellement, quand on est jeune et qu'on manque peut-être un peu d'éducation, on ne perçoit pas les implications d'actes somme tout innocents. C'est ce qu'il est arrivé il y a quelques mois à quelques jeunes lycéens visitant le camp d'Auschwitz, ne se sentant pas troublés par la charge émotionnelle du lieu, ils crurent à propos d'engager une bataille de neige et de faire quelques plaisanteries vaseuses sur les victimes de ce génocide. Comportement qu'on doit bien qualifier d'inapproprié. Mais la responsabilité est largement partagée, ces voyages scolaires faisant la visite de camps de concentration ne devraient pas exister, c'est le genre de chose qu'on doit faire de soi même, après en avoir ressenti le besoin. Y emmener des jeunes qui ne se sentent pas concernés, par un épisode de l'histoire aussi évocateur pour eux que le massacre de la Saint-Barthélémy, est hautement irresponsable. Ils manquent de maturité pour comprendre que dans un tel lieu de mémoire, il convient de faire preuve de retenue, et de prendre les signes extérieurs de l'affection. La joie dans un tel lieu ne pouvant paraître que comme une provocation.

C'est cela que décrit avec talent Pierre Desproges dans L'Humanité :
"Et les gens qu'on ne connait pas, les doigts nous manquent pour les compter, d'ailleurs ils ne comptent pas. Il peut bien s'en massacrer, s'en engloutir, s'en génocider des milles et des cents, chaque jours que Dieu fait, avec la rigueur et la grande bonté qui l'a rendu célèbre jusqu'à l'Embaréné. Il peut bien s'en tronçonner des wagons entiers, les gens qu'on ne connait pas on s'en fout. Le jour du récent tremblement de terre de Mexico, le gamin de mon charcutier s'est coupé un auriculaire en jouant avec la machine à jambon. Et bien quand cet estimable commerçant évoque cette date, que croyez-vous qu'il lui en reste ? Etait-ce le jour de la mort de milliers de gens inconnus ? Ou bien était-ce le jour du petit doigt ?"

Ce que dit Desproges est vrai, dans une certaine mesure, mais un autre élément entre en ligne de compte dans la perception de ce genre d'événement : la notion d'éloignement de la menace. C'est-à-dire que lorsqu'on perçoit une menace comme étant lointaine, que ce soit à tort ou à raison, on a naturellement tendance à la concevoir avec détachement. Cet éloignement peut être géographique, culturel ou lié à l'éventualité de la menace. Par exemple on se sent généralement peu concerné par les inondations de grande envergure frappant le Bangladesh, pouvant faire jusqu'à plusieurs dizaines de milliers de morts, parce que notre mode de vie est très différent de celui des bengalis, que ce pays nous apparaît comme lointain, et que l'éventualité d'inondations aussi gigantesques dans nos contrées nous semble bien peu probable. De la même façon que le risque d'un tremblement de terre de forte amplitude en France ne nous rapproche pas des souffrances des habitants de Mexico. Une crainte commune rapproche les hommes. L'histoire personnelle de chacun a aussi une importance non négligeable, si vous avez réchappé à un attentat, les attaques terroristes postérieures, même lointaines, vous toucheront certainement plus que la moyenne de la population. Le facteur d'attachement à la communauté entre aussi en jeu, c'est pour cette raison que les médias s'intéressent plus facilement à un drame quand des individus de même nationalité sont concernés, et que ceux-ci recherchent avant tout à communiquer sur des compatriotes. L'inondation de la Nouvelle-Orléans, un naufrage sur le Danube se vivent à travers le sort des quelques français présents. Il ne faut pas négliger l'attachement que chacun ressent envers les personnes qu'il reconnait plus ou moins consciemment comme étant de sa communauté. Car quelque part, ils nous ressemblent, ça pourrait même être nous, on s'en sent d'autant plus proche. Les communautés peuvent aussi être choisie, l'expression de préférences personnelles, la charge émotive est la même.

Sans doute que les amoureux de l'Amérique se sont sentis très mal le 11 septembre 2001 en apprenant la nouvelle des attentats, mais ce n'est pas le cas pour tout le monde, je ne parle même pas d'anti-américains viscéraux, mais de gens normaux non-politisés. Je crois que ces individus se précipitant dans le vide pour échapper aux flammes d'une hauteur impressionnante, a marqué les imaginations. Cet épisode est de nature à pouvoir susciter le rire ; comme un cartoon. Evidemment si ces bons rieurs avaient été présent sur place, avaient sentu l'angoisse, le désespoir, le climat oppressant, et avaient vu le résultat de ces chutes, ils n'auraient sans doute pas du tout eu envie de rire. Même si la violence est aussi belle et bonne à contempler. Combien de fois chacun de nous a-t-il pû voir les explosions des deux tours ? Sans doute des dizaines ou des centaines, et cela pas seulement dans le seul but de nous informer. Le contexte tragique, les avions kamikazes, ces explosions violentes et si captivantes, l'effondrement des tours, le nuage de fumée qui envahit la ville, exercent sur nous une attraction. Les morts passent au second plan, cela devient un spectacle.

Nous voyons aussi souvent que la vie humaine ne prend subitement de la valeur, que comme moyen de servir un but politique. C'est ainsi que nombre de militants (nécessairement de gauche) se découvrent réellement une fibre humanitaire à l'occasion de combat contre l'impérialisme américain, le colonialisme israélien, le néo-colonialisme européen. Des drames ne les intéressant que très superficiellement, que ce soit des massacres, des génocides, des atteintes répétées aux droits de l'Homme, les exactions de régimes dictatoriaux, qui ne suscitant chez eux qu'une protestation de principe bien timide, deviennent une fois qu'ils peuvent être liés à un pays occidental un sujet de lutte politique de première importance. Ces moralistes hypocrites, n'hésitent pas alors à instrumentaliser la souffrance de ces peuples auparavant ignorés, pour inspirer l'indignation de nos populations sur nos hypothétiques fautes. Coupant cette réalité de son contexte chronologique, et analysant des situations qu'on ne peut comparer aux notres, avec notre grille d'analyse. Il en est ainsi par exemple du cas de la Rwanda, ou de l'Irak. A-t-on entendu beaucoup de protestations dans les milieux engagés contre le régime de Saddam Hussein ? Il semblerait que ces militants n'aient découvert l'existence des irakiens qu'au moment de l'intervention américaine, et que ce fut la condition sine qua non pour qu'ils soient été ému par ses afflictions. Qu'un massacre de population ait lieu loin de toute présence occidentale, et bien souvent toute ardeur combative se dissipera, à moins qu'on puisse lier cela sournoisement à notre passif colonial, au combat anti-capitalisme et alter-mondialeux...

Mais l'hypocrisie est souvent une nécessité, il en est ainsi par exemple quand un homme politique doit faire part de sa plus vive émotion à la suite d'un drame. Comment pourrait-il ressentir une peine particulière, être sincèrement atteint, par un malheur qui touche quelques individus inconnus ? Surtout quand il le fait à répétition. C'est une figure imposée, tout homme politique doit savoir feindre la tristesse, l'accablement, mettre son masque de clown triste sur commande et jouer la scène attendue. Un éclat de rire, ou une mine réjouie paraitrait définitivement inappropriée.

Les discussions sur la valeur de la vie humaine et de celle des masses anonymes nous conduit à la seconde guerre mondiale, qui par un phénomène de distorsion historique nous ramène régulièrement à l'épisode de la Shoah. L'horreur d'un génocide en pleine Europe, coeur de la civilisation, ayant marquée nos esprits. Il ne se passe pas une évocation de ce sujet, sans que tout à chacun se rêve résistant, sauveur de multitudes de juifs innocents qu'ils arracheraient aux mains nazies. L'étape suivante, une fois affirmé leur courage, découle naturellement sur la condamnation de la lacheté de nos pères. Finalement la seule chose véritablement importante n'est-elle pas de juger les morts, et de se convaincre par là même de notre propre valeur ?
Enfin, ces glorieux héros imaginaires, n'éprouvent généralement pas tant d'intérêt pour les drames de notre temps. Nous ne les avons pas vu mettre en oeuvre une très grande détermination pour sauver les tutsis rwandais, ou plus récemment les soudanais noirs du Darfour. Je doute même que beaucoup d'entre eux aient été empêché de dormir par ces génocides. Pourtant l'armée soudanaise n'occupe pas Paris... Mais ne soyons pas trop dur, l'intérêt vient rétrospectivement, sans doute condamneront-ils le génocide soudanais avec force avec 15 ou 20 ans. De toute façon, on sera jugé de la même façon que l'on juge. Les nouvelles générations ne manqueront pas de sanctionner notre apathie, notre indolence, notre mépris de la vie et de la souffrance humaine.

En définitif, la vie humaine ne vaut que ce que nous sommes prêts à lui accorder comme valeur réelle. Le chaton aimé de Maryline vaudra toujours plus à ses yeux que les files d'inconnus marchant vers une mort certaine. Certaines causes acquièrent plus d'importance que d'autres, même en matière de génocides il y a des gagnants, des massacres plus populaires que d'autres, indépendamment de leur importance réelle. Tout cela est affaire de proximité, de liens personnels qui nous unissent avec les victimes. La valeur de la vie humaine est relative, même si peu nombreux sont ceux qui acceptent de l'admettre.
- Vae Victis

dimanche, octobre 09, 2005

Ces bons samaritains qui veulent aider l'Afrique


Les bons samaritains sont partout. A la télévision, dans les pages de vos journaux, à la radio et même dans le café Max Havelaar que vous buvez le matin si vous avez les moyens d'acheter les produits de cette marque. Alter-mondialistes, bobos de la capitale, baby-boomers nostalgiques du lancer de pavés et autres "citoyens du monde" auto-proclamés. Leur objectif? Il est simple: mettre fin à la misère dans le monde. "Quel noble objectif!", me direz-vous. Et comment! Seulement, il y a un hic, et pas des moindres: ces bons samaritains n'ont pas que de nobles idéaux "humanistes", ils ont surtout une face noire que peu de français ont la chance d'observer.
Parlons-en.

En France comme ailleurs, il est bien dur de résister à l'assaut soudain des bonnes âmes de tout bord qui vous vendent de la soupe "solidaire" à tous les repas. Les ravages de l'ouragan Katrina en Louisiane? La faute au manque de solidarité pardi! Les catastrophes écologiques dûes aux dégazages de chalutiers en mer? La "course au profit" au détriment de la solidarité voyons! La misère dans laquelle l'Afrique est plongée depuis des décennies? Le manque de "so-li-da-ri-té" qu'on vous dit! La messe est dite. Ne reste plus qu'à vous acquitter de votre devoir moral en glissant quelques deniers dans la corbeille et vous voila investi d'une bonne conscience bien méritée. Un peu court j'en conviens. Et pourtant, ne sous-estimez pas cet acte, aussi minime soit-il! Il y a des bobos parisiens se comptant par centaines qui évitent de dépenser des fortunes en séances psychiatriques en assistant à un concert de soutien à l'Afrique tel que le récent Live8. Comme quoi, à chacun son confessional..

Mais derrière le masque "humanitariste" dont ces gens s'affublent, il se cache une toute autre réalité. En effet, quoi de plus réconfortant que d'envoyer trois francs six sous à un pauvre "ch'ti n'africain" tout maigre qui n'a pas de quoi vivre? Cela vous épargne une longue et fastidieuse réflexion de bon gestionnaire cartésien qui finira toujours par vous amener à constater que l'Afrique a plus besoin de libertés individuelles que d'argent frais venant remplir le porte-feuille des autocrates africains toujours plus avides de ce précieux lait, surtout quand celui-ci leur permet de renforcer les moyens qu'ils ont à disposition pour serrer un peu plus l'étau autour de la tête de leurs sujets. En effet, pourquoi s'embêter à vouloir supprimer nos barrières douanières et autres politiques protectionistes pour que ces "faces-de-chocolat-noir" viennent nous vendre leurs bananes? Les africains sont très bien où ils sont nom did'jû! D'ailleurs, ces sales égoïstes de vendeurs de banania ne se rendent même pas compte de leur chance ! Ces heureux indigènes ont tout de même le luxe d'avoir échappé à la "société d'hyper-consommation" occidentale. Y'a bon!



Vous l'aurez compris, les "humanistes" ne sont jamais ceux qui se gargarisent de l'être à n'en plus finir. Après avoir subi l'oppression de l'étatisme colonialiste (1) et la mégalomanie des dictateurs en tout genre, voila que les africains doivent supporter le paternalisme aux relents de racisme de la part de ceux qui prétendent "aider l'Afrique" en plaidant en faveur d'un Plan Marshall pour ce continent et supportant au passage le "commerce équitable". Ces prises de positions ne sont là que pour se donner bonne conscience: les aides aux développements enferment les producteurs africains dans une dépendance insoutenable, elles ne facilitent pas leur accès à notre marché ni les aident à sortir de leur misère ; d'ailleurs qui oserait être assez naïf au point de croire que ces subventions trans-frontalières arrivent réellement dans les mains des producteurs africains? Le problème est connu: il vient de l'absence totale de définition juridique du droit de propriété des exploitants sur leur terre, ce qui crée du "capital mort" que les producteurs ont le plus grand mal à échanger (2), si l'on ajoute à cela les barrières douanières que l'Union Européenne met en place pour empêcher les agriculteurs du Tiers-Monde de commercer avec elle, on en conclut assez rapidement que ce n'est pas trois miettes d'aides au développement et un surcoût sur la vente de 50 grammes de café cultivé au Kenya et vendu dans les pays du Nord qui vont réellement aider les africains à se sortir de leur misère.

En réalité, qui a dit que le souci premier de ces bons samaritains du Live8 et affiliés étaient de résoudre les problèmes de l'Afrique? Tous les bobos qui s'auto-félicitent "d'acheter équitable" ne le font que pour soulager leur conscience de post-soixante huitards désabusés par l'absence de "Révolution" à venir, c'est pitoyable. Derrières leurs beaux apparâts de "citoyens de monde ouverts à toutes les cultures", ces gauchistes qui font leurs courses chez Prada ne regrettent guère l'état de pauvreté avancée des pays dont ils visitent les beautés touristiques: en effet, c'est chez ces energumènes que l'on retrouve cette pensée post-coloniale caricaturalement raciste qui les amènent à se féliciter du "charme" naturel de certains lieux typiques qui n'ont pas encore été "envahis" par le "tourisme de masse" et que l'on ne peut accuser d'être soumis à la "course au profit": peu leur importe que les locaux y vivent dans une extrême misère, tant que le charme local est là et que l'on a soulagé sa conscience en achetant un souvenir pour pas chèr et ainsi contribuer à nourrir une famille avec une soupe hebdomadaire, pourquoi s'en vouloir? C'est le même comportement que l'on retrouve chez les touristes qui se félicitent de trouver des voitures datant des années 50 à Cuba tout en occultant totalement le fait que le "charme" naturel des vieux quartiers de Cuba vient plus de la misère dans laquelle leurs occupants sont plongés par Castro et sa clique que par réelle volonté de conserver un certain folklore. Ce sont ces mêmes bobos globe-trotters qui soulagent leur conscience en buvant du café issu du commerce équitable devant France2 le dimanche après-midi tout en se confortant dans l'idée que ces africains ne méritent pas pour autant de venir commercer librement avec les pays du Nord, qu'ils sont bien mieux sous le soleil de l'Afrique que dans notre "société de consommation".

Les nouveaux bons samaritains d'aujourd'hui qui prétendent "aider" l'Afrique à grands renforts d'aides au développement et autres lubbies politiquement correctes vivent en réalité dans l'image idéalisée du paysan africain qui cultive ses bananes avec passion comme les colonisateurs d'hier cultivaient l'image d'Epinal traditionnel du bon tirailleur sénégalais qui n'est bon qu'à porter un veston aux couleurs du drapeau tricolore. A quelques nuances près, il y a bien peu de choses qui différencient le bobo d'aujourd'hui du colonisateur d'hier, renvoyons une fois pour toutes ces gens au même mur et mettons nous vraiment à aider l'Afrique en libéralisant le marché agricole tout en faisant tout ce qui est en notre pouvoir pour affaibilir le pouvoir oppresseur des autocrates africains afin que leurs "sujets" s'émancipent de leur joug et puissent enfin mener à bien leur poursuite du bonheur individuel. A n'en point douter, c'est ainsi et seulement de cette manière que nous pouvons réellement aider l'Afrique.

Notes:

(1) A lire à ce sujet mon article sur le colonialisme: Colonialist Papa was an Etatist ou pourquoi le colonialisme est un étatisme ( http://www.peres-fondateurs.com/lafronde/?p=73 )

(2) Dans l'ouvrage Le Mystère du Capital, L'économiste Hernando De Soto a très bien mis en lumière les blocages imposés aux producteurs africains qui, de facto, ne peuvent échanger leurs produits aisément. Indispensable.

- Lafronde